André Mauric gentihomme

Il dessine Neptune à l’âge de 67 ans.

Posté le 29 juin 2022

Dans dix mois, Neptune va reprendre la mer, avec de nouveaux aménagements, un nouveau gréement, plaçant ses performances au top niveau. Avec Tan Raffray, porteur du projet de l’OGR 2023 et son équipage vannetais, l’architecte Erwan Gourdon dirige les travaux de refonte du bateau classé au BIP (Bateau d’Intérêt Patrimonial). Quarante-cinq ans se sont écoulés depuis qu’André Mauric, l’architecte marseillais, disparu en 2003, a dessiné le bateau pour la seconde course autour du monde de 1977. Il occupe une place centrale dans l’histoire qui continue.

Les régates d’Antigua sur le Méridien.

J’ai connu le gentleman marseillais dans la grisaille du Havre pendant les grèves de mai 1968. Il était venu assister au galop de son nouveau poulain. Avec Alain Gliksman et Michel Malinovsky nous préparions Raph (sponsor : le port de St Raphaël) pour la Transat anglaise en solitaire. Le soir, en rentrant des essais en mer, nous téléphonions à un certain Eric Tabarly. Au large de Lorient, avec l’ingénieur Gianoli, il mettait au point sur le trimaran Pen-Duick IV, un système de pilotage automatique analogue à celui de Raph. Dans les difficultés à trouver du courant électrique, à utiliser une grue pour la mise à l’eau, à se procurer l’accastillage pour terminer ce bateau de 18 mètres en aluminium -il prendra cinq ans plus tard le nom de 33 Export pour la première Whibread- André n’abandonnait jamais son flegme méditerranéen. A cette époque, les plaisanciers de Manche et de Méditerranée se mélangeaient rarement. Dans le port du Havre, cet architecte à l’accent chantant qui faisait un usage courant de l’imparfait du subjonctif et parlait du Mistral avec respect, semblait sortir d’un autre monde.

Huit ans plus tard, nous avons renoué avec lui pendant la semaine d’Antigua de Juin 1976. Avec Bernard Deguy, photographe à la revue Neptune-Nautisme, nous participions alors aux régates antillaises à bord d’un Méridien, gros dériveur de 15 mètres conçu pour Marc Pajot et construit par le chantier vendéen Pouvreau. La chance nous a tendu les bras : l’architecte du bateau, André Mauric était à bord, responsable de l’écoute de grand’voile. Pendant cette merveilleuse semaine de course ventée, au cours des longues soirées arrangées au ti punch, le projet Neptune sort de l’ombre en présence de l’architecte, ainsi d’ailleurs que du directeur de la revue Neptune-Nautisme, Henri de Constantin. Neptune va prendre forme dans l’ambiance historique et feutrée de l’Admiral’s Inn d’English Harbour, fief de l’amiral Nelson au XVIII ème siècle. Le souhait de participer, avec un nouveau bateau, à la seconde édition de la Whitbread quittant l’Angleterre 14 mois plus tard était en germe !

Méridien à Antigua

Le Méridien au mouillage à Antigua - Dériveur de 15 mètres en aluminium construit par le chantier Pouvreau.

Les enseignements de la première Whitbread.

Quand il dessine Neptune, André Mauric est âgé de 67 ans et sa carrière professionnelle est déjà époustouflante. L’équilibre des formes de carène de ses bateaux reste légendaire. Ne dit-il pas avec humour : « Un gouvernail est un frein ; il doit être sollicité seulement lorsqu’il est question de changer de direction ! » André est intarissable sur sa longue carrière, sur celles ses confrères français comme Joseph Guédon, mais aussi des américains qu’il observe et respecte : Clinton Crane, Philip Rhodes ou Olin Stephens. Son fort accent chantant du midi, sa voix basse, la lenteur de son élocution, la manière gourmande dont il prononce ces noms étrangers résonnent encore dans nos souvenirs. Sa qualité d’écoute, sa fraîcheur d’âme, remplissent l’espace de nos discussions passionnées, inépuisables. A l’examen attentif de ses productions, au-delà du classicisme, certaines des formes de carènes, mais aussi de voilures, ont été à l’avant-garde.

Dans les années 1970, l’expérience des conditions de course dans les hautes latitudes du grand sud vécue à l’occasion la première Whitbread a été fondatrice. Sayula, un Swan 65 de série, dû au crayon de Stephens, l’emporte, se sortant indemne d’un lourd chavirage dans la mer forte du pacifique sud. De cette première flotte du tour du monde, André Mauric a dessiné deux bateaux. Pen-Duick VI, sans doute le plus rapide (sa vitesse au plus près est de 10 nœuds), mais il est condamné à l’abandon dès la première étape en raison de la faiblesse d’une épontille qui entraîne la chute du mât principal. Deux futurs équipiers de Neptune sont à bord du bateau de Tabarly, parmi les précieux témoins de cette « première » autour du monde : Bernard Deguy et Bernard Rubinstein. Le second bateau de Mauric est 33 Export, conçu pour la solitaire de 1968. A bord du ketch, la perte de Dominique Guillet dans l’étape de l’Indien, endeuille le monde de la course. En dépit de ce drame cruel (deux autres équipiers disparaissent durant cette « première »), le bateau montre d’étonnantes qualités en terminant premier français de la dernière étape entre Rio et Portsmouth !

Raph

Raph par fort Mistral à la semaine de Marseille dans les années 1970

Ces premiers défricheurs d’océans montrent la route pour les courses à venir dans les hautes latitudes très ventées des mers qui peuvent devenir dangereuses. Le règlement ne fixe encore aucune limite sud ! A ce jeu, Neptune va faire partie des bateaux conçus spécifiquement pour l’épreuve de 1977. La qualité de l’ensemble de la construction effectuée par le chantier Pouvreau de Vix en Vendée a sans doute « coûté » quelques kilos en trop. Et il a manqué quelques mètres carrés de voilures supplémentaires dans le temps médium. Mais à « mille milles de toutes terres habitées », Neptune était bien armé pour affronter un lieu magistralement orchestré par sa majesté le vent. Par forte brise de l’arrière, comme sur des rails, chassant des tonnes d’eau, nous dévalions la formidable houle des quarantièmes. Le dieu Neptune ne nous a jamais lâché.

L’architecte de toutes les marines.

André Mauric n’a pas uniquement servi la plaisance, mais toutes les marines. Sa connaissance du navire étonne. Il a dessiné de nombreux bateaux de travail pour les administrations, fournit les grands chantiers de plaisance construisant en série, dessiné des 12 m de la jauge internationale pour la Coupe de l’América, conçu de confortables bateaux de croisières à voile et à moteur. Il est à l’aise pour travailler dans le cadre minutieux d’une jauge, pour dessiner lui-même une hélice dont le rendement est parfaitement adapté au bateau sur lequel il travaille. Il élabore de front, pour certaines unités à moteur, la conception des hélices et celle des carènes. En même temps, il peut laisser libre cours à la vitesse pure pour les unités des grandes courses « open ». Neptune, conçu pour la haute mer, tout en conservant un œil sur le rating IOR, héritera du bouchain de coque de Raph (1968) qui renforce sa stabilité au portant et réduit la largeur au niveau de la flottaison par petit temps. Pour ses aménagements intérieurs, il reprend le principe utilisé pour Pen-Duick VI (1973), celui des deux coursives d’équipage qui avaient fait la preuve de leur efficacité en course. Quant au cockpit, il est conçu pour disposer, dans la descente, d’un abri pour l’homme de veille.

Arrivée à Auckland

Arrivée à Auckland. Whitbread 1977 - Neptune et 33 export (ex Raph) fêtent leur arrivée, a couple en baie d’Auckland

De l’hélice à la pomme de mât.

Pour la première grande sortie de Neptune, André Mauric est à bord. En Juillet 1977, il participe au convoyage du bateau de La Pallice à St Jacut de la Mer, domicile de Bernard Deguy et port d’attache du futur cap-hornier. Quittant la rue Sainte, berceau de son cabinet marseillais au-dessus du vieux port, il veut connaître lui-même le comportement du bateau à la mer. En ralliant la Bretagne nord, il communique sur le pont avec les artisans de la première heure à l’aube d’une belle aventure. Pendant son quart, au fil des milles, le gentilhomme marseillais continue d’évoquer ses souvenirs, « de l’hélice à la pomme de mât. »

DG

Neptune

  • Plans d’André Mauric
  • Construit par Guy Fillon (Chantier Pouvreau)
  • Conception 1976 pour la Whitbread 1977/78
  • Classement : 8ème sur 16 bateaux classés
  • Inscrit à l’OGR 2023

Photo en tête d’article : Baptême de Neptune à St Jacut de la Mer.
A droite, en blanc, l’architecte André Mauric avec madame Charles Deguy, la marraine, accompagné de son fils Bernard Deguy, skipper du bateau.