Né à Marseille le 13 juillet 1909, c’est dans cette ville que le futur architecte naval va faire ses études jusqu’à la faculté qu’il termine en 1929 avec une licence de sciences (mathématiques). Le père d’André concevait, dessinait et construisait lui-même ses bateaux sur lesquels naviguait son fils dès l’âge de douze ans.
D’abord directeur de chantiers
C’est avec le 8,50 m JI “Morwark”, qu’André Mauric entame son travail à la planche à dessin. En 1929 pour sa première saison, ce bateau familial totalise 22 premières places sur 29 régates ! Charles Baudoin, le créateur des moteurs marins qui portent son nom engage le jeune homme comme architecte naval à partir de juin 1930. À la fin 1934, après son service militaire accompli à l’Arsenal de Toulon en tant que matelot mécanicien, Mauric devient directeur et administrateur du chantier. En 1940, il a déjà construit de nombreuses vedettes sur ses plans, un travail qui lui fait une belle renommée auprès de la clientèle des Ministères et des diverses administrations publiques. Pendant la guerre il est affecté à l’Arsenal de Toulon, chargé de l’étude de la stabilité de deux contre-torpilleurs. En janvier 40, il est placé aux chantiers Maritimes du Midi pour travailler à une commande de 50 dragueurs. Mission interrompue par l’Armistice. Les deux chantiers dirigés par André Mauric, Massilia à Marseille et les Chantiers Maritimes du Midi à La Seyne furent détruits au cours des combats de la Libération. Charles Baudoin s’était retiré de la vie active en 1945 à l’âge de 75 ans. Après la direction de chantier, André Mauric choisit de poursuivre sa carrière comme indépendant dans le domaine de l’architecture navale.
« Il ne calcule pas seulement, il les sent. »
Il ouvre son cabinet à Marseille fin 1945 à l’âge de 36 ans et travaille d’abord à la reconstruction des unités détruites par la guerre : vedettes de douane, de surveillance des pêches, de pilotage, pilotines, et même un ponton-grue pour la reconstruction des jetées de La Seyne. « Il ne calcule pas seulement les coques ou les hélices, il les sent ! » dira de lui le commandant Cousteau pour qui il a dessiné le turbovoile « Alcyone » en 1985. Cet homme cultivé n’est pas seulement l’architecte de la plaisance, il celui de « toutes » les marines. De 1930 à 1985, c’est plus de 3 000 plans qu’il signe dans des domaines très différents. Ses vedettes rapides du chantier de l’Estérel sont exportées dans 24 pays, mais aussi des patrouilleurs commandés pour les administrations françaises, les Douanes et la Marine Nationale. Il dessine aussi de grands yachts à voile et à moteur, ainsi que des bateaux très particuliers comme des navires multicoques semi-submersibles pour le ministère de la Défense, le trimaran Tribex pour la Comex, capable de recevoir un hélicoptère et de mettre à l’eau un sous-marin.
Les bateaux de plaisance de série.
Dans le domaine des bateaux de série, André Mauric développe une activité originale entamée avec le Challenger, doté d’une carène développable à bouchains qui fait école. Plus tard le Super-Challenger remporte un succès important dans la Half Ton Cup. Puis c’est au tour de “Impensable” de dicter sa loi dans cette épreuve en 1973. Ce prototype donnera naissance, dans une version adaptée à la croisière, au fameux First 30 de Bénéteau, conçu a plus de 1 000 exemplaires et choisit comme bateau du « Tour de France » dans les années 1980. Dans la One Ton Cup, c’est le Drac, dessiné par Mauric qui fait des émules. Il conduira au Mélody, construit en série par Jeanneau a plus de 600 exemplaires. Citons encore le “Giraglia” et le “Delph”, ou le Frioul 38.
Les grandes unités de course océanique.
André Mauric a dessiné de grandes unités à voile de prestige comme “Surama” (ketch de 32 m) ou “Chambel II” (ketch de 29 m). La goélette “Aiglon” longue de 36 mètres possède une belle histoire avec une remontée de l’Amazone. À l’intérieur, les boiseries de teck encadrent des tapisseries originales commandées à l’artiste Picard Ledoux. Elles représentent les cinq océans du monde. Par contrat, Mauric a demandé à diriger la croisière d’essai pour suivre la mise au point du navire pendant un mois. Après la mise à l’eau au fameux chantier Abeking et Rasmussen, l’architecte effectue, dans le cadre de ses attributions, une belle navigation en Baltique !
Le Giraglia ouvre la voie.
Mauric fut sollicité par de nombreux coureurs qui laisseront une empreinte indélébile dans le monde de la course au large. Ayant beaucoup navigué sur le Giraglia “Alcatraz” (un plan Mauric) vainqueur du championnat du RORC en 1966, Alain Gliksman, rédacteur en chef de Neptune-Nautisme, commande à Mauric les plans de “Raph” (financé par le port de St Raphael) pour la Transat anglaise de 1968. La carrière de ce monocoque à la voilure fractionnée, de façon a être mené en solo est étonnante puisqu’il participera ensuite aux deux premières Whitbread.
L’histoire de Pen-Duick VI est dans toutes les mémoires grâce à la notoriété de son célèbre skipper. Sa réussite est à la fois exemplaire et pour le moins paradoxale. Conçu par Mauric pour la Whitbread 73 et un équipage de 16 marins musclés, ce bateau de plus de 22 mètres remporte la course transatlantique en solitaire de 1976. Si les compétences de manoeuvrier de son célèbre skipper ne sont pas à démontrer, la victoire fut possible grâce au merveilleux équilibre de carène de ce monocoque de 30 tonnes privé de pilote automatique dès les premiers jours de course et traversant au plus près, six fortes dépressions !
André Mauric est aussi représenté dans la Route du Rhum. Pour la première, celle de 1978, iI dessine le monocoque Kriter V (22 mètres) pour Malinosky. En finissant 98 secondes derrière le petit trimaran jaune “Olympus” de Mike Birch, « Malino » entre dans la légende. “Kriter VIII” lui succédera quatre années plus tard et inspirera la construction des “Pioneer”, un bateau de croisière rapide équipé d’un moteur puissant. Objectif : 13 nœuds à la voile comme au moteur.
André Mauric est encore l’architecte d’unités construites pour la croisière hauturière. Parmi elles, “Hispania V” long de 15 mètres est un clin d’oeil au projet Neptune. L’architecte l’a dessiné en 1972 en vue d’un tour du monde par le cap Horn, pour le marseillais Max Gravelleau. Il fut, avant Tanneguy Raffray, propriétaire du 8 m JI Hispania IV !
À l’épreuve de la Coupe de l’America.
Dans la vie de l’architecte français, l’époque des Douze mètres JI est à la fois exaltante et compliquée. Le baron Marcel Bich lui commande pour l’édition 1970, un challenger destiné à représenter la France dans le Coupe de l’América. Cette compétition a la particularité de se courir à deux bateaux. Au fil du temps et des expériences architecturales, cette compétition s’est hissée au somment de l’art de régater. L’homme d’affaires Marcel Bich a fait connaissance de l’architecte André Mauric à l’occasion de l’acquisition de « Lak1 ». Un croiseur rapide de 14 mètres dessiné par Mauric en 1939. Construit en 1969, “France” sera le premier “12 m JI” d’après-guerre ! Dans la préparation de la Coupe 1970, il perd les sélections contre l’Australien “Gretel”. Il s’incline à nouveau devant « Southern Cross » dans celles de la Coupe 1974. Pour sa troisième prestation en 1977, c’est en demi-finale qu’il est éliminé. L’histoire retiendra que l’entrée en lice de la France dans la conquête de la Coupe de l’America est due au tandem Bich/Mauric. L’architecte prendra plaisir à se rendre plusieurs fois aux USA pour suivre la préparation de l’épreuve reine. Mais cette époque ne fait pas partie de ses meilleurs souvenirs !
Promu à l’Académie d’Architecture
André Mauric est le seul architecte naval à avoir reçu, en 1986, la médaille de l’Académie d’Architecture pour l’ensemble de son oeuvre. Le discours de réception met en valeur son « savoir » ainsi que sa « capacité inductive et intuitive aiguë lui permettant de parvenir à la réponse unique et pertinente ».
DG
Photo en tête d’article : Le déjeuner d’une rencontre entre André Mauric (à droite) et Rod Stephens (au milieu), en présence de Yves-Marie Marquet (traducteur) et Daniel Gilles (à gauche) rédacteur en chef de la revue Neptune-Nautisme. Photo Bernard Deguy
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Lak est le premier croiseur rapide dessiné par Mauric en 1939. Long de 14 m, pesant 10 tonnes, voilure 85 m2, construit par Louis Grossi pour Pierre Fieux, ingénieur de la société des moteurs Baudoin. Maurice Pomme fut le second propriétaire. Marcel Bich le troisième. Commentaire de Mauric : « On peut dire que Lak a été à l’origine de la passion du baron Marcel Bich pour la voile, passion aboutissant au défi français pour la coupe de l’America. » ↩︎