Neptune est aujourd’hui en réfection complète au chantier Infinity de Baden en rivière d’Auray. Six mois vont être encore nécessaires pour lui donner une nouvelle configuration de course dans le but de disputer l’OGR 2023. En 1977, il y a 45 ans, il sortait tout neuf du chantier Pouvreau de Vix en Vendée. Coup d’œil sur le chantier où il est né.
Le chantier Pouvreau
Le chantier Pouvreau, faisait partie en 1977, année de la construction de Neptune, des pionniers dans le travail de l’aluminium. C’est le “Romanée” (longueur 10, 20 m), dessiné par Philippe Harlé qui va ouvrir en 1973 une nouvelle ère pour le chantier. L’aluminium succède radicalement au travail du bois classique et à celui de deux générations de charpentiers de marine. Le Requin avait été construit à 300 exemplaires entre 1939 et 1974. Le Tigre avait fait une apparition remarquée en 1963. Un peu plus grand, pourvu d’aménagements plus confortables, ce croiseur rapide de 11 mètres conçu par Georges Anzépy Brenneur était destiné à la course-croisière dans la continuité du Requin. Cet architecte va influencer le passage du chantier à l’aluminium : Lysoline, un croiseur de 7 mètres de long est historiquement le premier bateau construit en aluminium par Pouvreau.
Mais c’est le Romanae - plan Philippe Harlé - qui va véritablement inaugurer ce type de construction métallique en série. 300 exemplaires verront le jour entre 1973, année de son lancement et 1984, année de fermeture du chantier ! Isatis est l’un d’eux. À son bord, Jean et Claudine Lescure partiront à la conquête des glaces de l’Alaska. À leur retour, ils font construire un Méridien, croiseur à dérive de 14 m sur plan André Mauric, conçu pour le grand sud : les Falklands, la Géorgie du Sud, l’Antarctique. Ce programme aventureux pour l’époque s’est accompli grâce à la confiance accordée par les Lescure à Guy Fillon (1940-2016).
Guy représente la troisième génération des responsables du chantier Pouvreau, et il accomplit ce transfert radical de technologie dans la continuité. Il conserve les mêmes compagnons, et adapte les machines à bois au travail des tôles en aluminium. Jean-Philippe Totot, responsable en 1981 de la réfection de Pen-Duick VI rebaptisé Euromarché chez Pouvreau, se souvient : « Les lames de scie au carbure étaient branchées sur les meuleuses pneumatiques qui avaient servi pour le bois. Les bateaux étaient construits à l’envers en commençant par le pont, venaient ensuite des armatures provisoires en bois pour étayer la carcasse, avant la pose des lisses et des membrures tenant les bordées. Le bateau de Tabarly voisinait alors dans le chantier avec Disque d’Or, Stress et Gauloises. »
L’apogée du travail d’aluminium du chantier Pouvreau est lié au développement des grandes courses au large. Le chantier vendéen a participé à la conception d’une nouvelle race de grands bateaux qui vont faire sa renommée. Marc Pajot, Éric Tabarly, Alain Gabbay, Christian de Galéa, Michel Malinowsky … lui font confiance. Le matériau s’adapte bien au milieu marin ; il se travaille rapidement. Il n’a fallu que six mois pour construire Neptune. Il quitte le hangar en convoi exceptionnel, sur un semi-remorque adapté à ses 20 tonnes, escorté par les motards de la gendarmerie nationale. Il parcourt les champs verts de la Vendée au printemps. Avec ses 5,40 mètres de large, il traverse les bourgades sous l’œil épaté des badauds. Il est mis à l’eau dans port de Marans en juillet 1977, et rallie St Jacut de la Mer pour être baptisé. Deux mois plus tard, il met le cap sur Portsmouth, ville de départ de la Whibread 77.
Développé avec Robert Sicard, le chantier Pouvreau a également exploité le marché des pontons destinés aux ports de plaisance en pleine expansion. Mais l’histoire retiendra surtout la belle série des Requins pour l’époque du bois, et celles des unités de course en aluminium des années 1970/80 construites dans de nouveaux locaux à partir de 1975. En 1984, après de bons et loyaux services, le chantier cesse ses activités. Elles seront reprises par l’entreprise MAG, à Fontenay-le-Comte.
Jérôme Fillon, le fils de Guy, évoque aujourd’hui la signature Pouvreau
Mille images me reviennent en mémoire lorsque l’on parle de Neptune : la gentillesse d’André Mauric, la fougue de Bernard Deguy, le flegme de Bernard Rubinstein, le calme de Daniel Gilles, le sourire de mon père. Tous ces souvenirs se reflètent dans les yeux de mon grand-père Honoré, ancien dirigeant du chantier naval. Je repense aussi aux appels téléphoniques en provenance du bateau pendant la course autour du monde de 1977 qui passaient alors par saint Lys Radio. Tous les jours mon père se tenait scrupuleusement au courant du classement de Neptune. C’était le seul moyen de suivre et de vivre de loin, l’aventure qui nous concernait pourtant de près. Aujourd’hui, je suis heureux que Neptune renaisse une nouvelle fois pour que nous puissions continuer à rêver.
Mon père est décédé à l’âge de 76 ans. Tous ceux qui l’ont connu gardent de lui l’image d’un passionné au grand cœur qui savait transformer l’aluminium en bateau. Il a fait ses premières armes à Vix, à deux pas de la Venise verte, là où le chantier Pouvreau s’est taillé une belle réputation en produisant les célèbres Requin en bois. Il débute aux côtés de son père Honoré. Plus tard, avec l’aluminium, Guy trouve un matériau à sa mesure. Il le maîtrise en utilisant une technique bien à lui : formage des tôles par roulage à froid. Il utilisera cette technique durant des décennies en lançant des bateaux qui feront date et qui vieilliront bien. Comment ne pas évoquer, dans les années soixante-dix, le succès du Romanée dessiné par Philippe Harlé et sorti des hangars de Vix à partir de 1973.
Guy Fillon et son beau-frère Robert Sicard, tous deux à la tête de l’entreprise n’étaient pas des marins. Ils ont pourtant noué des relations privilégiées avec bon nombre d’entre eux qui ont choisi le chantier Pouvreau pour faire construire leurs nouvelles unités. Coriolan pour Christian de Galéa, Neptune de Bernard Deguy, Charles Heidsieck pour Alain Gabbay, Kriter de Michel Malinovsky, tous portent la signature Pouvreau. Ceux qui nous ont confié la construction de leur bateau faisaient un peu partie de la famille du constructeur. Je garde de mon père le souvenir d’un homme généreux prenant plaisir à faire partager son amour du travail bien fait.