Transatlantique : Horta

Le journal de bord de Neptune

Posté le 24 janvier 2022

Après quatre jours d’escale mérités à Horta, dans l’île de Faial, Neptune a repris la mer, cap à l’est avec 5 équipiers1 sous la direction de Tan Raffray. 1 200 milles le sépare du golfe du Morbihan qu’il devrait atteindre dans les derniers jours de janvier.

Il laisse dans leur sillage, le paysage d’un archipel atlantique verdoyant placé à mi-chemin entre l’Europe et l’Amérique. Les abords de ces neuf îles volcaniques, couvertes de massifs d’hortensias en été, sont le royaume des cachalots qui viennent se reproduire au printemps. Venant de l’ouest une vingtaine de jours ont été nécessaires à Neptune pour y parvenir contre le vent. C’est au bout du sillage que le Café Sport dresse sa façade simplette sur le quai d’Horta depuis plus d’un siècle. Un lieu magique qui tendait les bras à Tan et son équipage affamé !

Neptune à quai à Horta

Le Café Sport et la famille Azevedo.

Avant 1900, à l’époque d’Ernesto Azevedo, ce petit local sur les quais du port fut d’abord un bazar qui vendait du linge, de la dentelle et des produits d’artisanat (fleurs et plumes d’oiseaux). Puis fut accolé un débit de boisson portant l’enseigne Azorean House. Henrique, passionné de sport (football et aviron), le baptisa Café Sport en 1918. En 1975, José agrandit l’établissement. Enfin, José-Henrique (quatrième génération) en prend la direction en 1978. Aujourd’hui, l’homme à la barbe noire, passant de table en table à l’heure du dîner, fait perdurer l’œuvre familiale avec sagesse. L’intérieur du bistrot est sombre, ce qui entretient l’intimité.

Par la fenêtre, la vue sur le volcan Pico, haut de 2 200 mètres, compose un décor grandiose. Au plafond, sur les murs, claquent les pavillons multicolores ramenés du monde entier. Le bulletin météo du jour est affiché près du bar. La salle de petite dimension ne compte pas plus d’une douzaine de tables que l’on peut regrouper pour composer de vastes tablées. Le sol en carrelage rafraîchit l’atmosphère. Un aigle immense étend ses ailes au-dessus du bar. Il provient d’une baleinière américaine venue s’échouer à la côte un jour de tempête. Dans l’angle de la pièce, un homme (sans doute un oncle) gère la salle en silence. Il tient la caisse du restaurant, passe les multiples consignes, classe les lettres derrière lui dans la poste restante des yachts de passage. Une tradition qui dure depuis trois générations. De Nouvelle-Zélande, d’Australie, d’Amérique et d’Europe, les enveloppes sont simplement estampillées « Chez Peter, Faila, Açores ». Ce prénom n’est pas celui d’un Azevedo, mais simplement celui du fils d’un officier du Lusitania II qui était venu relâcher dans le port au début de la guerre à la suite d’une avarie causée par une explosion. José Azevedo participa durant six mois aux travaux de réfection du grand bateau. Cet officier du bord le prénomma Peter tant la ressemblance avec son fils était troublante.

Neptune et le volcan Pico

La couleur de la façade : façon Smith Rotterdam.

De tout temps, l’activité marine de l’île déborda chez Peter. Le café fut aux premières loges pour accueillir les équipages des hydravions long-courriers transatlantiques. Dans les années 1920, deux compagnies de remorqueur hollandais étaient basées à Horta pour contrôler la navigation sur l’atlantique nord. Le Café Sport fut alors transformé en véritable shipchandler, approvisionnant les navires, et le soir raccompagnant les marins à leur bord avec Jeneirinha un bateau acheté par José Azevedo à la compagnie Pan America. La décoration extérieure du Café est d’ailleurs un vestige de cette époque. Les couleurs bleues et noires de la façade sont celles de la compagnie Smith Rotterdam qui donna, à l’époque, le reste de quelques vieux pots de peinture à la famille Azevedo pour l’entretien de leur établissement. Et c’est le personnel de la Compagnie britannique du câble, installée plusieurs années sur l’île pour la pose de la ligne transatlantique qui fut à l’origine de l’introduction du Gin Tonic au Café Sport qui en fit sa « boisson maison ».

La façade du Café Sport

Passage des aventureiros !

Le développement de la navigation à voile décupla le passage des yachts dans l’archipel. Ils prirent la suite des bateaux marchands à partir des années 1960. Les habitants de ces îles isolées les appelèrent les « aventureiros ». Délivrée des hantises du large, sur un sol de faïence qui ne se dérobe plus sous les pieds, la communication des marins y est universelle. Dans les vapeurs de Gin et de bière, au-delà des coutumes, des races et de la barrière de la langue, les gens de mer refont leurs traversées, évoquent le souvenir de pays lointains. José-Henrique Azevedo se dévoue corps et âme pour épancher leur soif, mais surtout pour satisfaire les besoins vitaux des marins en escale. Le journal Newsweek évoquait en 1986 l’efficacité et la simplicité de son accueil en ces termes : « Vous serez touché par la sympathie du personnage même si vous ne buvez rien ». Sur le livre d’or précieusement conservé, les noms de marins célèbres comme Bardiaux, Chichester, Tabarly ou Fougeron côtoient ceux des politiques portugais et espagnols ainsi que les illustres inconnus qui se souviendront toute leur vie de leur passage dans ce havre de paix.

Il y a une trentaine d’années, le Peter Café Sport offrait encore –outre l’hospitalité, les services d’un bar branché et ceux des repas servis à des prix raisonnables- les prestations des drogueries de nos grand-mères. Peter était à la fois bureau de change et poste restante, club nautique et agence de tourisme, service météo et mont-de-piété. Depuis la création en 1986, d’une marina moderne de 240 places, il a perdu de sa bienveillante utilité. Les navigateurs de passage disposent désormais des services efficaces d’une capitainerie digne de ce nom, d’un bar et d’une blanchisserie.

Aujourd’hui, 1 200 bateaux font escale chaque année à Horta et la marina est pleine durant toute la haute saison. Dans la fraîcheur du Café Sports, là-haut sur la corniche qui domine le port hauturier, un peu de poésie s’en est allée. Mais sur les murs de cette pièce qui n’a pas changé, les pavillons multicolores et les photos sépia, noires et couleurs racontent toujours la belle histoire de ceux qui vont sur la mer. En 1978, sur le livre d’or du café, on pouvait lire cette dédicace : « Boire un verre de Gin chez Peter fait partie de l’art de savoir tirer des bords contre le vent ». Une maxime que l’équipage de Neptune aura mise en pratique !

L’équipage au Café Sport


  1. L’équipage du convoyage : Tan Raffray, Bruno Tranchard, Nawel Chapelain, Albert Guillou, Pierre Danus, Patrick Belenfant ↩︎